- CINÉMATHÈQUE
- CINÉMATHÈQUECINÉMATHÈQUE«Pour la suite du monde...»: l’idée de conserver les films, les images animées, est presque aussi vieille que le cinéma. En 1898, moins de trois ans après la fameuse séance du Grand Café, le Polonais Boleslaw Matuszewski publie à Paris une plaquette qu’il a intitulée Une nouvelle source de l’histoire : il suggère de créer, à Paris, «un musée ou un dépôt cinématographique» et précise: «Il s’agit de donner à cette source peut-être privilégiée de l’histoire la même autorité, la même existence officielle, le même accès qu’aux autres archives déjà connues.»Matuszewski n’envisageait pas le cinéma comme le septième art mais simplement comme une mémoire. Le film? «Ce simple ruban de celluloïd constitue non seulement un document historique, mais une parcelle d’histoire.» Il définissait une voie que d’autres emprunteront après lui: la cinémathèque-mausolée. La même idée sera reprise en effet à diverses occasions: par des conseillers municipaux de Paris — Henri Turot en 1906 puis en 1921, Émile Massard en 1911 —; par le publiciste Victor Perrot qui, en 1920, pose la question du dépôt légal des films (question maintes fois soulevée après lui: elle ne sera tranchée, sur le papier qu’en 1943, et dans les faits qu’en 1978!); par le journaliste Gaston Thierry qui vient de voir un montage d’actualités consacré à Paul Doumer au lendemain de son assassinat: «Pour nos morts illustres, il faut créer la cinémathèque du Panthéon» (mai 1932).Au début des années 1930, le passage de l’art muet au cinéma parlant trouble ceux qui avaient compris que ces bobines de pellicule fragile qu’on jetait au rebut étaient le support d’une création essentielle. Le cinéma avait conquis ses lettres de noblesse. D’où l’idée de sauver les films, de rassembler les œuvres dont le public ne voulait plus dans des dépôts, toujours pour la postérité... L’hebdomadaire Pour vous publie en mars 1932 un appel véhément de Lucienne Escoubé: «Sauvons les films du répertoire!» Elle définit lucidement les tâches urgentes: «Création d’une cinémathèque où sera gardée la bande originale ainsi que deux copies de celle-ci [...], constituer des archives de l’art cinématographique: photos, articles, critiques, documents de toute sorte. Création d’une salle qui ne passerait que ce répertoire dans un ordre raisonné et intelligent.» Le 10 janvier 1933, le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, Jean Mistler, inaugure la cinémathèque du Trocadéro. On évoque à ce propos «l’amorce d’une véritable cinémathèque nationale». Mais la cinémathèque du Trocadéro sombre dans l’oubli et disparaît, probablement lors de la destruction de l’édifice qui l’hébergeait. L’idée d’une cinémathèque française conçue comme un service public s’efface alors pour une longue période.C’est pourtant l’époque où les premières archives prennent forme dans le monde: le Svenska Filmsamfundet à Stockholm en 1933, le Reichsfilmarchiv à Berlin en 1934, la National Film Library à Londres et la Film Library au Museum of Modern Art à New York en 1935. L’année suivante, la Cinémathèque française voit officiellement le jour: le 9 septembre 1936, les deux jeunes animateurs d’un ciné-club, le Cercle du cinéma, Georges Franju et Henri Langlois, déposent les statuts d’une association privée, conforme à la loi de 1901. Ils sont soutenus par l’historien Jean Mitry et par Paul-Auguste Harlé, le directeur de la revue corporative La Cinématographie française .En 1938, les cinémathèques existantes s’unissent dans la F.I.A.F. (Fédération internationale des archives du film). Le siège est fixé à Paris. Henri Langlois en est le secrétaire général.Dès l’avant-guerre, la forte personnalité de Langlois est en effet le moteur incontesté de la cinémathèque. C’est lui qui a pris l’initiative de constituer en 1937 un «comité d’honneur» qui associe à l’institution les grands noms de la profession: Jean Renoir, René Clair, Alberto Cavalcanti, le producteur Alexandre Kamenka. C’est lui qui organise des manifestations ouvertes au tout-Paris, comme le «gala des fantômes» en novembre 1937, ou le «gala des loufoques» en février 1938. Surtout il impose une politique d’archivage qui aura des conséquences extrêmement positives: tout engranger, ne pas imposer de hiérarchie, permettre au temps et aux autres de classer différemment: «Plus reculaient — écrit Langlois — les bornes de cette terra incognita qui était le passé de l’art cinématographique, plus nous nous rendions compte à quel point le recul modifiait déjà les notions acquises. À chaque instant nous prenions plus conscience de notre ignorance et, avec elle, de nos responsabilités. Nous en sommes arrivés à concevoir très vite qu’il nous fallait essayer de tout conserver, de tout sauver, de tout maintenir, de renoncer à jouer à l’amateur de classiques.» Et les copies s’entassent dans l’entrepôt que Harlé a fait aménager à Orly.Pendant la guerre, la Cinémathèque n’a plus d’activité publique, mais elle enrichit ses collections. En 1943, l’État français, par l’intermédiaire du C.O.I.C. (Comité d’organisation des industries cinématographiques), lui assure sa première subvention. Elle dispose d’un local dans un immeuble de l’avenue de Messine, dont elle gardera l’usage jusqu’en 1955.C’est après la guerre que la Cinémathèque française connaît son âge d’or et qu’elle s’identifie dans l’esprit de tous ceux qui se pressent aux projections de l’avenue de Messine, puis dans la salle plus vaste de l’Institut pédagogique national de la rue d’Ulm, avec la personne de Henri Langlois. On dit simplement «chez Langlois», et Cocteau, en 1953, salue en lui «le dragon qui veille sur nos trésors». Langlois, qui règne alors en monarque absolu, a su s’entourer d’une équipe de collaboratrices dont chacune est un moment de l’histoire du cinéma: Mary Meerson, Lotte Eisner, Marie Epstein. Il organise des cycles, des rétrospectives qui entreront dans la légende d’une génération. Il communique son enthousiasme aux spectateurs dans des improvisations brillantes et souvent paradoxales, et prolonge parfois les conversations avec des petits groupes fascinés tard dans la nuit, sur le trottoir de la rue Soufflot. La génération qui sera la «nouvelle vague» découvre là le cinéma. Le succès de Langlois est tel que la Cinémathèque obtient d’André Malraux, alors ministre de la Culture, la disposition d’une nouvelle salle aménagée en 1962 dans les sous-sols du palais de Chaillot.Six ans plus tard, le 9 février 1968, l’affaire Langlois éclate, dans laquelle beaucoup ont vu le premier signe du divorce entre le pouvoir gaulliste et la jeunesse qui explosera aux premiers jours de mai. À l’initiative du représentant de l’État, dont les subventions couvraient une part croissante de son budget, le conseil d’administration de la Cinémathèque accepte d’évincer Langlois et de le remplacer par deux directeurs. Le lendemain, la plupart des cinéastes français prennent fait et cause pour lui et en appellent à l’opinion. Ils interdisent la projection de leurs films dans les deux salles et menacent de retirer les copies et les documents qu’ils ont confiés à Langlois. De nombreux créateurs étrangers leur emboîtent le pas. Le 12, on manifeste rue d’Ulm. Le 14, les forces de l’ordre dispersent brutalement ceux qui défendent Langlois devant Chaillot. La confusion est extrême pendant huit semaines. À la fin d’avril, le pouvoir cède: Henri Langlois retrouve ses fonctions.Pendant deux mois d’âpres polémiques, la personne de Langlois a été exaltée, au-delà de toute mesure: sa légende dorée s’est répandue. Mais pendant les journées chaudes de l’affaire, un doute était né sur l’œuvre de Langlois en tant que conservateur; la presse et la télévision avaient attiré l’attention sur le mauvais état des copies que la Cinémathèque entreposait dans les casemates de la batterie de Bois-d’Arcy. Beaucoup découvrirent alors que si le septième art est voué, comme les six autres, à l’éternité, le film est un support fragile, menacé de décomposition, sensible à la chaleur, à la lumière, à l’humidité.L’État, par l’intermédiaire du Centre national de la cinématographie (C.N.C.), prend l’initiative de faire construire, toujours à Bois-d’Arcy, des installations de stockage et de restauration confiées au nouveau service des Archives du film. La Cinémathèque refuse l’offre d’y déposer au moins les plus vulnérables de ses trésors.En 1972, elle perd l’usage de la salle de la rue d’Ulm. Langlois, qui a rompu avec la F.I.A.F. depuis 1959, organise des projections et des tournées de conférences aux États-Unis, donne des cours au Canada, met en place à Chaillot un Musée du cinéma qui est inauguré en 1973. La gestion de la Cinémathèque est de plus en plus contestée, les dettes s’accumulent. En 1975, les cinq principales revues de cinéma françaises publient un «Appel pour une cinémathèque nationale», qui attire l’attention sur l’existence d’autres archives en France: la cinémathèque de Toulouse, créée dans les années cinquante par Raymond Borde, celle des Armées au fort d’Ivry, la cinémathèque universitaire, etc.Henri Langlois meurt le 13 janvier 1977. À l’automne de la même année, la Cinémathèque s’enlise dans un malaise confus: crise d’identité, crise d’autorité, crise financière. Langlois n’avait jamais caché son mépris pour les questions d’argent; trois ans avant sa mort, il avait signé des contrats pour la location et l’aménagement d’entrepôts au sud de Paris: les créanciers menacent, on peut craindre de voir la Cinémathèque passer sous le contrôle d’intérêts privés. L’État augmente sa subvention, le conseil d’administration s’engage à une remise en ordre. En outre la Cinémathèque n’a toujours pas de catalogue: Langlois a emporté avec lui la mémoire des dépôts qu’il avait disséminés à travers la France.Dans la nuit du 2 au 3 août 1980, un incendie ravage un de ces entrepôts, situé au Pontel dans les Yvelines: plusieurs milliers de boîtes de films partent en fumée. Le drame du Pontel est la charnière qui ouvre «l’ère de l’après-Langlois». L’urgence et le bon sens semblent l’emporter sur la peur de l’État, qui avait hanté Langlois et habitait encore ceux de ses fidèles qui dominaient le conseil d’administration. En 1981, ils acceptent un nouveau directeur général venu de l’administration des Finances, André-Marc Delocque-Fourcaud. Au début de 1982, le cinéaste Costa-Gavras est élu président de l’association. Jean Rouch lui succède de 1987 à 1991, puis est remplacé par Jean Saint-Geours, qui nomme Dominique Païni directeur. La Cinémathèque évolue lentement vers ce que le ministre Jack Lang a appelé «une puissante et moderne institution culturelle internationale»: si la fonction de diffusion demeure la part la plus évidente de son activité — une quarantaine de films sont projetés chaque semaine dans les deux salles parisiennes de Chaillot et de Beaubourg —, elle se soucie également de l’inventaire et de la sauvegarde des quelque 12 000 films de long métrage de ses collections, et tient à la disposition des chercheurs des archives écrites en cours de classement.• 1921; de cinéma et -thèque♦ Organisme chargé de conserver les œuvres cinématographiques présentant un intérêt particulier (scientifique, artistique, documentaire...). La Cinémathèque nationale. — Endroit où l'on projette ces œuvres. Aller voir un vieux film muet à la cinémathèque. La cinémathèque de Chaillot, à Paris.cinémathèquen. f. Endroit où l'on conserve les films de cinéma.⇒CINÉMATHÈQUE, subst. fém.Organisme qui se charge de rassembler et d'assurer la conservation d'œuvres cinématographiques, particulièrement celles qui présentent un intérêt artistique, documentaire ou éducatif. La Cinémathèque française :• 1. Les initiatives des cinémathèques ont pourtant depuis 1935 notablement diminué d'irrémédiables dégâts, en préservant, dans leur majorité, les chefs-d'œuvre indiscutés du cinéma.L'Hist. et ses méthodes, 1961, p. 1176.— P. méton.♦ Lieu où sont conservées ces œuvres et où elles sont périodiquement présentées au public :• 2. ... ils sont allés [le jeune homme et la jeune fille] vénérer pieusement dans les clubs ou aux séances de la cinémathèque ces bandes mêmes que vous aviez vues dans les salles de quartier avec Henriette; ...M. BUTOR, La Modification, 1957, p. 115.♦ Collection de films sur un sujet particulier :• 3. Propagande pour la renaissance sportive par le film : en créant toute une cinémathèque démontrant — et souvent au ralenti — la beauté de l'effort et le mécanisme des victoires.L'Œuvre, 9 févr. 1941.Prononc. :[
]. Étymol. et Hist. 1921 (Moussinac, Cinémag., 9 sept. ds GIRAUD). Dér. de cinéma-; élément suff. -thèque. Bbg. GALL. 1955, p. 271.
cinémathèque [sinematɛk] n. f.ÉTYM. 1921; de 2. cinéma-, et suff. -thèque.❖♦ Endroit où l'on conserve les films de cinéma.♦ Par ext. Organisme par les soins duquel sont présentés périodiquement les films conservés; salle de cinéma où les projections ont lieu (absolt. : la Cinémathèque française, à Paris). || Aller voir un film ancien à la Cinémathèque ou dans un cinéma d'essai.0 (…) dans les petites salles de quartier où il avait repéré des programmes alléchants; nous n'allions pas là seulement pour nous divertir; nous y apportions le même sérieux que les jeunes dévots d'aujourd'hui quand ils entrent dans une cinémathèque.S. de Beauvoir, la Force de l'âge, p. 53.
Encyclopédie Universelle. 2012.